Russie : le régime impose un silence de mort21/02/20242024Journal/medias/journalnumero/images/2024/02/2899.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Russie

le régime impose un silence de mort

La mort d’Alexéï Navalny, le 16 février, dans un camp du Grand Nord de la Russie, a tout d’une exécution. Les autorités ont refusé de rendre le cadavre à la famille : de crainte qu’on puisse y déceler des traces de leurs sévices ?

Que Poutine ait commandité l’assassinat, que certains de ses sbires aient fait du zèle, ou que ce soit un « accident », le Kremlin avait intérêt à faire taire celui en qui des secteurs de la population voyaient le leader de l’opposition à Poutine.

Le régime avait déjà tenté de le réduire au silence, en le faisant empoisonner en 2020. Soigné en Allemagne, Navalny avait été assez courageux pour retourner à Moscou en sachant ce qui l’attendait. L’ayant condamné pour « extrémisme », le pouvoir n’avait cessé d’alourdir sa peine, la portant à 19 ans, et durcissant ses conditions de détention. Il venait de l’envoyer dans un camp à régime renforcé, qui bat des records de mortalité pénitentiaire.

En février 2012, lors de la contestation massive, à Moscou, de la fraude qui avait permis à Poutine d’emporter un troisième mandat présidentiel, Navalny était apparu en pourfendeur des voleurs et des escrocs au pouvoir. Depuis, le régime a usé de moyens renforcés pour briser la contestation et répandre la peur dans la population.

Ainsi, en 2014, il a condamné à de lourdes peines de prison des jeunes manifestants de 2012, parmi les centaines qu’il maintenait derrière les barreaux depuis deux ans. En février 2015, à deux pas du Kremlin, des tueurs d’une des officines de barbouzes qui servent le régime ont abattu Boris Nemtsov, un ancien vice-Premier ministre passé à l’opposition dite libérale. Il avait été, un temps, pressenti pour succéder à Eltsine à la tête du pays, avant que Poutine ne s’impose.

Jusqu’au début de la guerre généralisée entre l’Ukraine et la Russie, Poutine a voulu ménager son image internationale en faisant preuve de quelque retenue dans la répression. Depuis deux ans, des milliers d’inconnus ont écopé de peines de prison pour avoir protesté contre « l’opération spéciale » de Poutine. Des figures de l’opposition « de gauche », tel Sergueï Oudaltsov, attendent en détention préventive de passer en jugement ou ont vu, tel Boris Kagarlitski, le tribunal commuer une peine d’amende en cinq ans de prison. Les animateurs de Memorial, organisation dissoute parce qu’elle entretenait la mémoire des crimes staliniens et de leurs victimes, sont menacés de prison. Le journaliste Kara-Mourza, arrêté pour « diffusion de fausses informations » sur l’armée, a été condamné à 25 ans d’incarcération pour « haute trahison ».

Dans le camp des va-t-en-guerre, on sait comment Prigojine, ex-truand et ami de Poutine, recrutait pour son compte des soldats dans les prisons, L’été dernier, il a payé de sa vie et de celle de ses lieutenants d’avoir organisé un mini putsch avorté contre la mollesse supposée du Kremlin en Ukraine. Quant à Strelkov, « héros » de la sécession pro-russe du Donbass et membre de la police politique (FSB), il se croyait intouchable, Il fera pourtant cinq ans de prison pour « extrémisme », en fait pour avoir critiqué la façon dont le Kremlin mène sa guerre. Ayant aussi soutenu à mi-voix Prigojine, il s’en tire peut-être relativement à bon compte…

On le voit, le régime russe cherche à museler la moindre voix dissonante. S’il a annoncé à la télévision la mort de Navalny, c’est contraint, car tous les réseaux sociaux commentaient la nouvelle. Mais il a fait savoir aussi qu’il interdisait toute manifestation. Et les très rares personnes venues malgré tout déposer des fleurs se sont fait rudement embarquer par la police, prenant jusqu’à 15 jours de prison.

Pour l’heure, les exactions d’un régime qui se croit tout permis ne suscitent pas de réactions ouvertes. Mais, parce que ces exactions s’étalent au grand jour, elles pourraient, comme d’ailleurs la guerre, accréditer l’idée dans la population que la politique et la direction de la société sont affaire de rapports de force. Que les classes laborieuses de Russie en prennent conscience, et en tirent la conclusion qu’elles représentent une force colossale capable de faire plier et de renverser ce régime, et ce serait un grand pas en avant.

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