Moyen-Orient : les dirigeants sionistes font la guerre aux Arabes… et au peuple israélien (La guerre du Liban)25/06/19821982Brochure/static/common/img/contenu-min.jpg

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Moyen-Orient : les dirigeants sionistes font la guerre aux Arabes… et au peuple israélien (La guerre du Liban)

Le 4 juin, Israël a engagé au Liban une guerre sans scrupule et sans pitié, une guerre totale. Rien que dans les deux premières semaines, selon la Croix Rouge et la police libanaises, l'offensive israélienne au Liban a fait 14 000 morts et 20 000 blessés. La plupart des victimes. étaient des civils, libanais ou palestiniens, morts lors des attaques aériennes de l'armée d'Israël. Le chiffre est considérable. Pour faire quatorze mille morts en quinze jours de guerre, en occupant une région du Liban qui comporte en temps normal à peine plus d'un million d'habitants, il fallait que les militaires israéliens aient fait consciemment le choix de détruire et de massacrer, sans distinguer ni les vieillards, ni les femmes, ni les enfants, ni les civils des combattants. II est établi maintenant que l'armée israélienne a utilisé des bombes à fragmentation, particulièrement meurtrières. Son but était de frapper de terreur, le plus vite possible, le plus profondément possible, la population de cette région du Liban que 100 000 hommes de troupe israéliens allaient ensuite occuper : près d'un soldat pour dix habitants, hommes, femmes et enfants.

De la frontière israélienne au sud, jusqu'à Beyrouth, il y a cent kilomètres. Cent kilomètres qui, selon les journalistes qui ont été autorisés à les parcourir avec l'armée israélienne, ne laissaient plus voir aujourd'hui que des villes détruites, des maisons éventrées, des villages déserts, des champs calcinés. Les centres des villes de Saïda et de Tyr ont été complètement détruits. Chaque maison a été touchée, soit par le bombardement aérien, soit plus tard par les blindés israéliens lorsqu'ils sont entrés dans la ville. Sous chaque maison, il y avait des morts qui se comptent parfois par dizaines. A Dammour aussi, plus au nord, il n'y avait pas une maison qui n'ait été touchée par les obus israéliens.

Et puis, la guerre faite, l'armée israélienne s'est transformée en armée d'occupation. Une armée qui a soumis à son contrôle toute la population civile, qui s'est livrée à la chasse aux suspects, qui a encouragé la délation pour tenter de trouver les éventuels combattants palestiniens qui se seraient fondus dans la population civile. Une armée dont les soldats ont pu battre à mort les prisonniers, comme l'ont rapporté des médecins norvégiens.

Un degré de plus dans l'escalade

Sans doute, ce n'est pas la première fois qu'Israël déclenchait une guerre au Moyen-Orient Cette guerre est la cinquième guerre israélo-arabe. Mais si toutes les guerres sont horribles, celle-ci tranche par rapport aux précédentes. Elle tranche par le cynisme des dirigeants israéliens. Lors des guerres précédentes, les dirigeants israéliens se souciaient un peu de l'opinion publique, non seulement en Israël mais dans les pays occidentaux. Ils se souciaient beaucoup plus de garder la sympathie d'une partie de l'opinion publique occidentale et le soutien en particulier des Juifs d'Europe ou d'Amérique. C'est pourquoi ils se justifiaient en présentant Israël comme un pays agressé, et limitaient par ailleurs les exactions de leur armée.

Là, les dirigeants israéliens ne se sont plus embarrassés de ces détails, ne recherchant même pas une justification apparente à leur action agressive. Car cela tient du cynisme le plus absolu que de baptiser du nom de « Paix en Galilée » une opération militaire qui fait plus de trente mille tués et blessés et qui prend pour prétexte la tentative d'assassinat contre l'ambassadeur israélien à Londres.

Les dirigeants israéliens n'en sont plus à chercher des justifications devant l'opinion publique, qu'elle soit israélienne ou occidentale. Ils mènent une guerre totale en affirmant tout simplement qu'ils font régner la loi du plus fort et qu'ils sont prêts à l'imposer dans tout le Moyen-Orient. Ils ne peuvent pas ne pas savoir qu'ils aliènent ainsi peut-être définitivement une grande part de ce capital de sympathie que, malgré tout, Israël conservait encore auprès de toute une partie de l'opinion européenne ou américaine. Mais c'est un choix qu'ils ont fait. Un choix qui fait du mal aujourd'hui aux peuples libanais et palestinien, mais qui fait du mal aussi, et peut-être plus encore, au peuple israélien lui-même.

La guerre du Liban est bien sûr, par bien des aspects, la continuation pure et simple des quatre guerres précédentes dont le Moyen-Orient a été le théâtre et dont Israël a été le principal protagoniste. Mais elle n'est pas seulement cela. Dans cette guerre, les dirigeants israéliens ont, certes, continué leur politique des guerres précédentes. Mais ils l'ont continuée à un autre niveau ; ils ont franchi un pas ; ils ont gravi un degré dans l'échelle de leur politique guerrière. Et cela d'une façon qui est peut-être irréversible maintenant pour le Moyen-Orient, et surtout pour le peuple israélien.

Les dirigeants israéliens ont franchi un pas par l'importance du territoire qu'ils occupent, par l'importance de la population qu'ils contrôlent, par l'ampleur et la férocité de la guerre qu'ils ont menée contre les peuples libanais et palestinien. Ils ont porté à un autre degré l'état de guerre permanent qui oppose depuis sa création l'État d'Israël aux États et aux peuples environnants. Ils ont cru aussi pouvoir le faire à cause de tout le contexte mondial, un contexte qui est celui de l'aggravation générale de la crise et de l'éclatement de conflits armés en différents points de la planète. Ils se sont engagés dans une aventure militaire qui ne peut que conduire Israël à de nouveaux conflits, de nouvelles guerres contre les peuples de toute la région. Et pour cela, les dirigeants d'Israël devront transformer leur peuple en un peuple de soldats, d'occupants qui mettront au pas la population libanaise et palestinienne du Sud-Liban, puis du Liban-Nord et de Beyrouth, en même temps qu'ils feront régner l'ordre à Gaza, ou en Cisjordanie, ou à Jérusalem ou dans le Golan, ou dans d'autres régions encore.

La condition maintenant est de faire accepter au peuple israélien lui-même cette situation de peuple-soldat qui gardera, l'arme à la bretelle, un Moyen-Orient transformé de plus en plus en un vaste camp. Et en ce sens, l'expédition du Liban n'est pas dirigée seulement contre les peuples palestinien et libanais. Elle est dirigée aussi contre le peuple israélien pour le militariser, le discipliner, pour le soumettre aux buts de guerre de ses dirigeants. En même temps que l'opération militaire contre le Liban, Begin et Sharon ont déclenché l'opération de mise au pas du peuple israélien lui-même.

La logique du sionisme

Cela bien sûr est en partie le résultat logique de la politique sioniste.

Le mouvement sioniste, né dans les communautés juives européennes au début de ce siècle, se proposait d'offrir aux Juifs persécutés un refuge par la création d'un État juif en Palestine.

Bien des Juifs qui ont émigré en Palestine ignoraient qu'il y avait là une population arabe. La Palestine était, dans la propagande sioniste comme dans les textes de la Bible, la « Terre Promise » à laquelle les Juifs avaient droit depuis cinq mille ans. Les sionistes se contentaient de cet argument pour justifier le fait d'aller occuper la Palestine au mépris des droits et de la vie de ses habitants arabes. L'entreprise sioniste s'est parfois faite en opposition, y compris les armes à la main, à l'impérialisme britannique. Mais elle n'a abouti qu'à la création d'une colonie « d'occidentaux » au Moyen-Orient aux dépens de la population arabe de la région. Celle-ci s'est trouvée dépossédée de ses terres, jetée dehors, méprisée, parquée dans des camps. En même temps, la « Terre Promise » a été un piège pour la population juive. De par le choix politique des dirigeants sionistes, les Juifs européens, puis africains ou asiatiques qui ont émigré en Palestine se sont imposés par la force aux populations et aux États arabes, se sont environnés d'une hostilité générale qui a conduit à les enchaîner, à une alliance privilégiée avec l'impérialisme.

L'État d'Israël a toujours dû se maintenir par la force. La guerre de 1948 a préparé celle de 1956, qui a préparé celle de 1967, qui elle-même a préparé celle de 1973. Ces guerres ont préparé la cinquième guerre israélo-arabe à laquelle nous assistons aujourd'hui. Les dirigeants israéliens, depuis le début, se sont fait une spécialité du terrorisme d'État, du terrorisme dirigé non contre des individus, mais contre toute une population.

Pour ne parler que de Begin, l'actuel chef du gouvernement israélien était en 1948 lors de la création d'Israël le chef d'une organisation terroriste juive, l'Irgoun, qui massacra toute la population du village arabe de Deir Yassine. Le but était de créer dans la population arabe de Palestine un réflexe de peur et de panique pour lui faire quitter le pays. Une bonne partie des Arabes palestiniens le firent ; aujourd'hui, eux ou leurs descendants croupissent encore dans les camps de réfugiés de Jordanie ou du Liban.

Les fausses justifications de l'état sioniste

Aujourd'hui, dans l'opinion publique occidentale, juive ou non-juive, l'idéologie sioniste continue de servir de justification à toutes les entreprises de l'État d'Israël. Il se trouve toujours des écrivains, des intellectuels de gauche pour justifier !es entreprises guerrières israéliennes par le fait que les Juifs dans le passé ont été massacrés par Hitler sans avoir le moyen de se défendre. Alors, aujourd'hui, disent-ils, les Juifs ont changé ; c'est un peuple comme les autres qui s'est donné un État, une armée, qui est devenu un peuple fort capable à son tour de faire mal aux autres. Et ces gens-là ajoutent qu'ils préfèrent devenir un Juif policier ou militaire qu'un Juif que l'on gaze dans un camp de concentration.

L'argumentation sioniste, lorsqu'on la dépouille du brouillard sentimental dont elle s'entoure, se réduit finalement à une simple apologie du droit du plus fort. C'est vrai que l'État d'Israël a été créé en grande partie par des Juifs qui fuyaient l'Europe et l'horreur des camps de la mort nazis. Mais en quoi le fait d'avoir souffert soi-même, ou d'avoir des ancêtres qui ont souffert du nazisme donne-t-il le droit de faire souffrir des peuples arabes, peuples qui de surcroît ne portent pas la moindre responsabilité, faut-il le dire, dans les événements européens de l'entre-deux-guerres ? Au nom de quelle invraisemblable loi du talion le fait qu'Hitler ait massacré les Juifs européens durant la guerre mondiale justifierait-il aujourd'hui le fait que des descendants de rescapés des camps de la mort imposent leur loi et massacrent les peuples libanais et palestinien ?

Et comment peut-il se trouver aujourd'hui encore des hommes pour défendre, envers et contre tout, l'argumentation sioniste, et pour dire que les Juifs d'Israël sont maintenant un peuple debout, au lieu du peuple à genoux que formaient les Juifs européens massacrés par Hitler, tout cela simplement parce que les Juifs d'Israël remportent des succès contre les armées et les peuples arabes ? Comment ne pas voir que les victoires d'Israël sont, tout simplement, les victoires de la technicité guerrière de l'impérialisme, technicité dont Israël bénéficie parce que ses dirigeants l'ont, envers et contre tout, enchaîné à cette alliance avec l'impérialisme américain. Dans le sourire satisfait des tankistes ou des autres militaires israéliens que l'on peut voir aujourd'hui à la télévision, il y a, sans doute, la satisfaction imbécile de ceux qui croient qu'ils gagnent les guerres grâce à leur courage ou à leur valeur personnelle. mais leur victoire n'est que celle de l'impérialisme. Si elle est la victoire de quelque chose, c'est celle de cette incroyable lâcheté qui consiste à jeter sur un peuple désarmé un déluge de bombes.

On peut ajouter que nulle victoire d'Israël, nulle agression réussie contre un de ses voisins arabes ne protège les Juifs du monde, n'est une garantie qu'on ne verra plus d'holocauste. Bien au contraire. II n'y a qu'une minorité de Juifs à avoir immigré en Israël, Et Israël n'est pas une garantie que dans les vieux pays impérialistes d'Europe ou d'Amérique, avec une nouvelle poussée du fascisme, on ne puisse pas voir renaître le vieil ignoble antisémitisme. Ce n'est pas en se faisant le soutien de l'impérialisme qu'Israël empêchera celui-ci d'avoir recours à cette vieille arme de l'extrême-droite s'il juge en avoir besoin pour des raisons de politique intérieure. Et quant aux Juifs israéliens, la politique sioniste ne fait qu'aider à exacerber un antisémitisme dans tout le Moyen-Orient, dont ils risquent d'être victimes aussi un jour.

Alors bien sûr, les dirigeante israéliens et les partisans du sionisme qui font profession de les justifier, invoquent le terrorisme palestinien pour présenter les actions israéliennes comme la simple application du précepte de la Bible qui dit « oeil pour oeil, dent pour dent ». Mais, quoi qu'on pense du terrorisme auquel ont eu souvent recours les Palestiniens, il n'est pas possible de le mettre sur le même plan que le terrorisme d'État utilisé sur une grande échelle par Israël, du haut de toute sa technicité et de tous ses moyens, contre les peuples de la région. Le peuple palestinien est un peuple opprimé, placé dans une situation désespérée. Les dirigeants israéliens justement, ne lui ont laissé aucune issue, aucun autre moyen, pour tenter de se faire entendre. Dans la jeunesse palestinienne, en particulier, nombreux ont été ceux qui ont eu recours à ce moyen désespéré qu'est l'action terroriste ; des actions où fréquemment ils savaient d'avance qu'ils laisseraient leur vie, alors que bien souvent le pilote d'avion ou de tank israélien qui va lâcher ses bombes sur un village ne risque même pas la sienne ! On peut désapprouver certaines fois l'utilisation du terrorisme auquel ont eu recours les Palestiniens (et les sionistes avant 1948 !) Mais les responsables en sont autant les dirigeants israéliens que les dirigeants palestiniens.

En tout cas, l'incroyable gâchis auquel a mené la politique sioniste est aujourd'hui devant nous. Les rescapés des camps de la mort ou leurs enfants ont été mobilisés dans des guerres successives, dans la défense d'un État qui, de plus en plus, a peuplé le Moyen-Orient à son tour de camps de réfugiés. Chaque fois qu'ils ont mené une guerre contre les Palestiniens ou les États arabes, les dirigeants israéliens ont créé de nouveaux problèmes, de nouvelles tensions.

Une agression préparée de longue date

Une autre politique aurait été possible, certes, y compris par un État créé par le mouvement sioniste comme l'a été l'État d'Israël. Une autre politique aurait été possible, qui se serait préoccupée de rechercher non la simple affirmation du droit du plus fort, mais la création de relations de coopération et de fraternité avec les peuples voisins. Une telle politique aurait impliqué, entre autres, la rupture avec l'impérialisme et au moins avec certains aspects du sionisme. Mais les dirigeants israéliens n'ont jamais fait ce choix. D'une guerre à l'autre, ils ont toujours fait le choix inverse : celui qui impliquait l'accentuation de la tension, la transformation d'Israël, toujours un peu plus, en un camp retranché et assiégé. Plus ils ont conquis de territoires, plus ils ont asservi les peuples de la région, et plus les dirigeants israéliens ont été confrontés à des problèmes. Et face à ces problèmes, ils viennent de répondre, encore une fois, par une fuite en avant qui porte la tension, l'état de guerre entre Israël et les peuples arabes à un degré incomparablement plus élevé que lors de toutes les guerres précédentes, et qui fait se lever dix adversaires irréductibles pour un adversaire détruit.

En fait, l'offensive israélienne au Sud-Liban était préparée ouvertement, depuis de longs mois, par l'état-major et le gouvernement israéliens. On peut même dire que la guerre du Liban est très logiquement issue des accords de Camp David signés en 1978 entre Begin et le président égyptien assassiné depuis, Anouar El Sadate, accords signés sous l'égide des USA et du président d'alors, Carter. Cette paix séparée signée avec l'Égypte prévoyait essentiellement l'évacuation du désert du Sinaï, territoire égyptien occupé depuis 1967 par Israël. Cette évacuation s'est terminée il y a à peine deux mots, le 25 avril dernier exactement. Et ce n'est sans doute pas par hasard si, à peine le Sinaï évacué, l'état-major israélien s'est lancé dans la guerre du Liban.

Car, en même temps qu'Israël normalisait ses relations avec l'Égypte, ses dirigeants se sont montrés d'autant plus intransigeants à l'égard des Palestiniens et des autres États arabes, comme si la paix avec l'Égypte qui est le seul des États de la région susceptible de se mesurer militairement avec Israël, avait eu pour seul but de leur donner les mains libres vis-à-vis des autres peuples. En même temps que l'armée israélienne évacuait le Sinaï, elle multipliait les raids contre les Palestiniens ou les troupes syriennes au Liban, ou bien elle attaquait l'Irak par exemple, il y a un an, en détruisant la centrale nucléaire en construction à Tamuz.

Les accords de « Camp David » prévoyaient, outre l'évacuation du Sinaï et la paix avec l'Égypte, la mise en place de négociations sur « l'autonomie » des Palestiniens.

Mais pour les dirigeants israéliens, cette « autonomie » n'impliquait pas du tout que leur armée évacue les territoires palestiniens occupés depuis 1967. « L'autonomie » des Palestiniens des territoires occupés, telle que Begin la conçoit, implique que l'armée, la police, l'État israéliens restent à Gaza, restent en Cisjordanie, restent aussi dans le Golan syrien. Tout au plus est-il question d'accorder aux Palestiniens de ces territoires une vague autonomie administrative, leur permettant de s'administrer eux-mêmes. Dans l'autonomie des Palestiniens de Cisjordanie et de Gaza version Begin, ceux-ci seraient à peu prés aussi « autonomes » que les Noirs d'Afrique du Sud, que l'on parque dans des réserves où ils ont le droit de s'auto-administrer, mais qui sont soumis à l'armée, à la police, à l'exploitation de l'État des Blancs.

L'obstacle principal à l'instauration de ce système d'autonomie est en fait la population palestinienne des territoires occupés elle-même. Elle est, dans son écrasante majorité, acquise à l'idée d'un État palestinien dirigé par l'OLP, l'Organisation de Libération de la Palestine. Aux élections municipales de 1976 en particulier, elle a élu des conseillers municipaux ouvertement favorables à l'OLP. Les maires palestiniens de Cisjordanie et notamment les plus connus, ceux de Naplouse et de Ramallah ont été ainsi les porte-parole de la révolte grandissante de la population de Cisjordanie contre l'occupation israélienne.

Mais là aussi, les dirigeants israéliens ont choisi l'intransigeance la plus absolue. Ils ont dit et répété qu'il n'était pas question de négocier avec l'OLP, qualifiée par eux de simple organisation terroriste. Ils ont accentué la répression contre les Palestiniens des territoires occupés, répression dont la dernière étape a été la destitution de nombreux maires et des conseillers municipaux élus en 1976, remplacés par des officiers israéliens. Le régime d'occupation en Cisjordanie et à Gaza est devenu de plus en plus dur : le fonctionnement de toutes les associations et institutions palestiniennes a été entravé et asphyxié, la censure sur la presse est devenue de plus en plus draconienne. En même temps, l'armée israélienne a cherché à mettre en place de nouvelles organisations palestiniennes, les « ligues de village » fondées sur la collaboration avec les autorités d'occupation, « ligues de village » bénéficiant de budgets énormes, de pouvoirs très élargis, et même d'armes légères. Mais les, ligues se sont heurtées au boycott de la population palestinienne.

Parallèlement, l'entreprise de « judaïsation » de la Cisjordanie a été poursuivie c'est-à-dire que les colonies juives, en général composées de militants d'extrême-droite ou d'extrémistes religieux, ont été multipliées sous la protection de l'armée, en même temps que les occupants arabes palestiniens étaient expropriés par divers moyens.

Ce durcissement de l'occupation a provoqué de nombreux mouvements de révolte dans la population palestinienne. Mais là encore, l'armée israélienne s'est montrée prête à une répression de plus en plus violente, de plus en plus meurtrière contre les Palestiniens, comme elle l'a montré récemment au mois d'avril 1982. Des centaines d'arrestations ont été opérées. II y a eu en ce mois d'avril une quinzaine de morts et des centaines de blessés. Fait nouveau aussi, des colons israéliens ont pris l'habitude de collaborer eux-mêmes à la répression et de tirer sur les manifestants arabes. « Le sang arabe est gratuit », ont fait remarquer les journaux palestiniens. Pour un soldat, un policier ou pour un colon israélien, tuer un Arabe, ce n'est pas un crime.

Les dirigeants israéliens ont choisi aussi l'intransigeance vis-à-vis de la Syrie. S'ils ont accepté de restituer le Sinaï à l'Égypte, ils ont parallèlement annexé purement et simplement le Golan, ce territoire syrien qu'ils occupent depuis 1967. Là aussi, cela a déclenché une importante révolte des habitants de cette région qui pourtant, depuis 1967, n'avaient pas spécialement combattu l'occupation israélienne.

Les 13500 habitants des villages du Golan se sont mis en grève générale pour protester contre le fait qu'on leur impose des cartes d'identité israéliennes. L'armée a alors imposé le blocus total de ces villages, coupant les communications avec l'extérieur, ne fournissant l'eau et l'électricité que quelques heures par jour, empêchant les troupeaux d'aller au pâturage, entraînant une pénurie des denrées alimentaires de première nécessité. Cela n'a pas empêché d'ailleurs, après 53 jours de blocus, la population du Golan de continuer à refuser des cartes d'identité israéliennes, qu'elle a jetées et brûlées sur les places des villages. Mais cela a montré, en tout cas, que l'armée israélienne était prête à imposer ce qu'un professeur israélien a qualifié de « loi des barbares ».

En tout cas, c'est bien l'armée et les dirigeants israéliens qui ont choisi, en même temps que la normalisation des relations avec l'Égypte, l'accentuation de la répression contre les Palestiniens ou les Syriens des territoires occupés. Et cela fait partie de leur attitude générale. De cette attitude générale qui leur fait refuser toute négociation avec I'OLP, toute négociation aussi avec la Syrie. C'est le choix d'une politique qui consiste en l'affirmation pure et simple que - l'État d'Israël est au Moyen-Orient par la force. Il occupe des territoires de par la loi du plus fort, et il y restera de par la même loi, voilà ce qu'ont choisi de proclamer ouvertement les dirigeants israéliens, face au peuple palestinien, face à l'OLP, face aux Arabes.

Cette attitude procède, de la part des dirigeants israéliens, d'une conscience du rapport des forces militaires. L'Égypte est le seul État arabe de taille à se mesurer sur le plan militaire avec Israël. Une fois l'Égypte éloignée du champ de bataille, l'armée israélienne pouvait agresser la Syrie, le Liban, l'Organisation de Libération de la Palestine et même l'Irak, dont l'armée était mobilisée par la guerre avec l'Iran. Aussi la paix signée avec l'Égypte semble n'avoir eu pour but que de donner les mains libres à l'armée israélienne pour mener une politique agressive sur tous les autres fronts, aussi bien dans les territoires occupés en préparant ouvertement l'annexion de la Cisjordanie et de Gaza, qu'à l'extérieur, vis-à-vis du Liban, de la Syrie ou de l'OLP.

Les nécessités de l'économie israélienne

C'est dans ces conditions que l'expédition israélienne au Liban a été préparée presque ouvertement depuis plus d'un an par le gouvernement et l'état-major israéliens. L'objectif proclamé est de briser l'OLP qui stationne au Sud-Liban, et l'armée israélienne s'y est en effet employée. L'OLP a été présentée parle gouvernement comme une organisation terroriste qui menace en permanence la sécurité d'Israël et dont l'existence encourage à la révolte permanente les Palestiniens des territoires occupés. Ainsi, briser l'OLP serait le moyen pour l'armée israélienne de préparer l'annexion de la Cisjordanie et, de Gaza et de briser toute volonté de résistance de la population palestinienne de ces régions.

L'offensive conduite au Liban par l'armée israélienne apparaît ainsi comme une tentative de réponse aux problèmes que le gouvernement israélien rencontre pour se maintenir dans les territoires occupés. Mais cette réponse se fait dans le cadre d'un choix fait par les dirigeants israéliens. Ce choix, c'est celui d'une politique de force, d'une politique qui a exclu par avance toute idée de parvenir à un compromis, par exemple avec l'OLP et avec la Syrie. Compromis qui, pourtant, de toute façon, dans les conditions actuelles du rapport de forces, aurait été favorable à l'État d'Israël.

Cette arrogance toujours plus grande de l'État d'Israël à l'égard des peuples et des États voisins est aussi et surtout le résultat d'une évolution politique intérieure. Israël est en crise économique et aussi politique, et cela depuis des années. La crise économique israélienne est aiguë. L'économie israélienne est une création artificielle au coeur du monde arabe. Ce petit État de trois millions d'habitants a reçu depuis sa création en 1948 une incroyable manne de capitaux, de subventions, de prêts, en provenance de tout le monde capitaliste, et en premier lieu des États-Unis. Sur ce terrain s'est développée une riche bourgeoisie d'affaires avide de faire du profit. Mais pour faire des profits, il faut bien à un moment ou à un autre, vendre quelque chose. Or, du fait du conflit israélo-arabe, le marché des pays arabes voisins lui est jusqu'à présent irrémédiablement fermé, ôtant ainsi tout débouché local à l'industrie et au commerce israéliens. L'occupation de la Cisjordanie et de Gaza depuis 1967 a certes fourni un marché protégé et sans concurrence aux marchandises israéliennes, aux dépens d'ailleurs de l'économie propre de ces régions, qui a été lentement asphyxiée. Elle a donné également à l'industrie israélienne la possibilité de disposer d'une main-d'oeuvre à bas prix, en la personne des Arabes de Cisjordanie et cela s'est traduit pendant plusieurs années par un « boom » économique en Israël.

Mais ce « boom » économique n'est plus depuis longtemps qu'un souvenir et l'économie israélienne souffre plus que jamais d'être enfermée dans les frontières exiguës de l'État d'Israël . D'autant plus que la crise économique mondiale rend plus difficiles les ventes sur les marchés extérieurs au Proche-Orient.

L'État d'Israël supporte un budget militaire qui est en valeur relative le plus élevé du monde. Les dépenses militaires représentent 65% du budget de l'État. Ce sont d'ailleurs les importations de matériel d'armement qui sont à l'origine de l'énorme déficit de l'État israélien. La dette extérieure de l'État est aussi, en valeur relative, la plus élevée du monde : 18 milliards de dollars, 6000 dollars par habitant. Et l'inflation aussi est une des plus élevées du monde. Elle a atteint 100% en 1981 après avoir battu tous les records l'année précédente avec 133% d'augmentation des prix.

Pour tenter de réduire ce déficit, le gouvernement Begin en place depuis cinq ans a mis l'accent en particulier sur le développement de l'industrie de guerre. Afin d'éviter l'importation d'armes, Israël s'est mis à en fabriquer de plus en plus. Il s'est même mis à exporter dans le monde entier des armes légères ou même des missiles qui lui permettent de couvrir en partie les frais d'achat d'avions, de chars ou de matériel plus sophistiqué, aux États-Unis.

L'économie israélienne est en fait une économie de guerre à l'image d'un pays tout entier dominé par l'armée et dans lequel celle-ci a un poids économique de premier plan.

C'est une économie qui ne tient debout que grâce aux énormes dépenses d'armement de l'État que celui-ci peut payer grâce aux subventions et aux aides reçues de l'étranger et en particulier des USA. C'est une économie où l'on peut faire fortune si l'on est marchand de canons. Mais la « Terre Promise » est aussi pour une bonne partie de la population une terre de misère. On estime que 62 000 familles, sans doute près de 20% de la population, vivent en dessous du seuil de la pauvreté. Enfin, après des années de plein emploi, le chômage a commencé à se développer en Israël de façon rapide.

Le gouvernement Begin est au pouvoir depuis 1977. Sur le plan économique, sa politique a consisté en un libéralisme total rompant avec le contrôle des prix, le contrôle des changes qui étaient en vigueur auparavant. Mais cela n'a pas enrayé la crise, cela l'a augmentée. Le niveau de vie moyen de la population a baissé, les impôts ont augmenté d'une façon importante. Puis, de nouvelles élections ont eu lieu l'an dernier en 1981. Pour les remporter, Begin a alors multiplié les cadeaux électoraux, en puisant dans le budget de l'État. Mais cela n'a fait que reporter la crise et la rendre encore plus grave.

Dans cette situation, les gouvernants israéliens ont besoin d'entretenir le climat d'un pays assiégé. C'est en partie pour faire oublier la crise que Begin, depuis qu'il est au pouvoir, a entretenu dans le pays un climat d'exaltation guerrière nationaliste et chauvine. Mais il a eu à subir aussi une surenchère venant d'éléments encore plus à droite ; c'est ainsi que l'évacuation du Sinaï a donné lieu à une campagne de l'extrême-droite contre la politique d'abandon de Begin.

La montée de l'extrême droite israélienne

Mais la crise économique, dans le cadre d'un pays en état de guerre permanent, s'est traduite sur le plan politique par une poussée vers la droite. La victoire de Begin aux élections de 1977 en était d'ailleurs le premier signe. Cette poussée s'est accentuée depuis. Aux élections de l'an dernier, de nouveaux partis plus à droite ont fait leur apparition, notamment le Tekhiya (le Renouveau), parti fascisant qui prône la rupture du traité de paix avec l'Égypte, l'annexion des territoires occupés et l'expulsion des Palestiniens de Cisjordanie et de Gaza. Ce parti a connu un succès particulier dans une partie de la jeunesse.

Ajoutons que cette campagne électorale de juin 1981 a été l'occasion, de la part de la droite, d'un déferlement de violence contre la gauche et y compris contre le parti travailliste israélien, le parti de Shimon Peres, qu'il est pourtant difficile de qualifier de « gauche ».

Les partis religieux aussi, dans ce climat général, se sont montrés d'autant plus audacieux. Ils ont imposé notamment l'élargissement des pouvoirs des tribunaux rabbiniques, une mainmise plus grande des institutions religieuses dans l'enseignement, l'extension jusqu'à l'insupportable de l'obscurantisme religieux. Ils ont collaboré, à leur manière, à l'extension d'un climat nationaliste, chauvin et raciste. Il faut rappeler que le « Gouch Emounim », le « Bloc de la Foi », a fourni l'essentiel des colons installés en Cisjordanie et qui prêtent aujourd'hui main-forte à l'armée dans ses oeuvres de répression. Ce « Gouch Emounim » est une émanation des partis religieux qui expriment ainsi d'une certaine façon sur le terrain politique le racisme et le mépris de ces colons. Certains rabbins ont publié des articles soutenant que la Bible elle-même ordonne l'expulsion des Arabes et interdit même d'épargner la vie des femmes et des enfants non juifs en temps de guerre. Un rabbin a écrit un article intitulé « Le commandement du génocide dans la Bible » déclarant que « pendant la guerre, c'est un ordre de tuer et d'exterminer également les nourrissons ». Un autre a déclaré que « il existe dans la loi halachique juive une justification pour l'assassinat de citoyens non juifs, y compris femmes et enfants, lors d'un combat ou d'une guerre ». aucun n'a été désavoué par la hiérarchie religieuse ou par les partis religieux.

Mais cette montée d'un climat nationaliste, chauvin et raciste n'est pas seulement un phénomène social dont il faudrait attribuer la responsabilité à la crise. C'est le fait des dirigeants de l'État, des couches dirigeantes de la bourgeoisie israélienne elle-même. Plus peut-être que Begin lui-même, c'est aujourd'hui son ministre de la Défense, Ariel Sharon, qui apparaît comme l'homme-clé de la politique israélienne. Il est bon de présenter ce personnage.

Ariel Sharon qui est propriétaire d'une grande ferme dans le sud d'Israël où il exploite des travailleurs arabes, a appuyé sa carrière politique sur sa carrière militaire qui a été celle, comme on dit, d'un « baroudeur » pour qui la vie humaine n'a pas grand prix. C'est le genre de militaire que les militaires eux-mêmes redoutent à cause de leur indiscipline et de leur individualisme. La spécialité d'Ariel Sharon a toujours été de transgresser les ordres de ses supérieurs. C'est ainsi que dès le début de sa carrière en 1952, lors d'un raid contre un village arabe, il a « oublié » l'ordre reçu de faire évacuer les maisons avant de les bombarder, faisant 69 morts dans la population. Il s'est illustré aussi pendant les guerres de 1956, de 1967, de 1973, en menant son jeu personnel, allant au-delà des ordres de l'état-major parfois au prix de pertes importantes.

Sharon a aussi été l'artisan de ce qu'on a nommé la « pacification » de camps palestiniens de Gaza en 1972, qu'il fit en partie raser au bulldozer. Avant d'être au ministère de la Défense, il a été à celui de l'Agriculture, responsable des implantations de colons dans les territoires occupés. Ce poste, et les fonds de l'État dont il s'est servi alors, lui ont permis de mettre en place, à partir de ces colons des territoires occupés et sous prétexte de défense de ces colonies juives, une véritable milice armée qui est entre ses mains et qui aujourd'hui appuie la répression contre la population palestinienne.

Les hommes politiques, même ceux de droite, même Begin, se sont longtemps méfiés de lui. Un ancien chef d'état-major de l'armée l'a défini comme « un homme motivé par le pouvoir, qui pense que les problèmes se résolvent par la force ». D'autres voient en lui « une menace réelle pour la démocratie israélienne » ou le critiquent parce qu'il n'a « aucune idéologie sauf celle de la force ». Sharon nourrit pour son pays de vastes desseins. C'est ainsi qu'il a déclaré en 1980 dans un discours que « la sphère d'intérêt militaire d'Israël s'étend dans les années 80 au-delà du monde arabe, et englobera des pays tels que la Turquie, l'Iran, le Pakistan et jusqu'à l'Afrique du Nord et l'Afrique centrale » !

Sharon est un général fasciste dont les propos, les méthodes, pour marcher vers le pouvoir, font irrésistiblement penser à ceux d'un Hitler ou d'un Mussolini. Sa montée au pouvoir dans un pays dont une grande partie de la population est encore marquée, précisément, par le cauchemar hitlérien, ne peut pas correspondre seulement à la satisfaction de ses ambitions personnelles. Si les sommets de la bourgeoisie et de l'État font place à un Sharon, c'est bien par un choix politique. Sharon que certains surnomment déjà « roi d'Israël » est d'ores et déjà candidat à la succession de Begin, à qui l'âge et la maladie ne devraient plus permettre de se maintenir longtemps au pouvoir. Il incarne un choix : celui de la guerre à outrance à l'extérieur, et celui d'un régime de plus en plus dictatorial, de plus en plus militaire, voire même fasciste, à l'intérieur d'Israël. Et justement, l'opération militaire au Liban dont Sharon a été le principal artisan a sans doute rapproché d'un seul coup le peuple israélien de la guerre à outrance, le général Sharon du pouvoir politique, et Israël de la dictature.

Vers une occupation de longue durée ?

Car quels sont justement, les objectifs que poursuit Israël en intervenant militairement au Liban ? De l'aveu même des dirigeants israéliens, il s'agit pour eux au minimum d'écraser l'OLP. L'armée israélienne se retirera-t-elle ensuite ? C'est possible, mais tout laisse prévoir le contraire. Les dirigeants israéliens affirment qu'avant de se retirer ils voudront des garanties que l'OLP ne reprendra pas pied au Liban. Mais quelles garanties pourraient donc leur assurer que le peuple palestinien sera définitivement brisé, qu'il ne pourra jamais reconstituer ses organisations politiques et ses organisations armées, sinon l'occupation du Liban par leur armée ?

Les dirigeants israéliens disent vouloir la normalisation de la situation au Liban, une normalisation répondant bien sûr à leurs intérêts.

Il s'agirait, une fois obtenu le désarmement total des milices palestiniennes et de la gauche libanaise ainsi que le retrait des troupes syriennes, d'obtenir la mise en place au Liban d'un pouvoir dominé par les milices chrétiennes d'extrême-droite, ces milices qui ont déclenché en 1975 une guerre civile contre la gauche libanaise et les Palestiniens, mais qui n'ont pas réussi à la gagner.

Ainsi l'intervention israélienne au Liban ferait cadeau à la droite chrétienne de la victoire qu'elle n'a pas eu jusqu'à présent, après qu'Israël leur ait fait cadeau, pendant des années, d'une aide militaire et matérielle. En échange, les dirigeants israéliens espèrent sans doute aussi que le Liban deviendra un allié d'Israël, il vaudrait mieux dire un vassal grâce auquel peut-être l'économie israélienne trouverait un second souffle, sortirait de l'isolement dans lequel elle se trouve confinée jusqu'à présent. D'autant plus que, malgré sept ans de guerres, le Liban reste un pays relativement riche et que Beyrouth est une place financière pour le Moyen-Orient.

Ces plans de la bourgeoisie israélienne se heurtent en fait à des difficultés. L'extrême-droite libanaise ne paraît pas très pressée d'apporter son appui à l'armée israélienne. Elle ne veut pas apparaître comme un otage de l'occupant et elle voudrait si possible défendre pour la bourgeoisie libanaise la possibilité d'une politique nationale qui ne se confonde pas avec celle d'Israël et qui ménage ses relations avec le monde arabe. Cela veut dire que si les dirigeants israéliens veulent vraiment instaurer une dictature appuyée sur l'extrême-droite chrétienne libanaise, et veulent que cette dictature reste l'alliée privilégiée d'Israël, ils ne pourront peut-être pas retirer leurs troupes, ils devront peut-être les maintenir. Bechir Gemayel, le leader de la droite chrétienne, sera peut-être de gré ou de force le Pétain d'un Liban occupé par Israël.

Bien sûr, on peut imaginer que, la droite libanaise une fois installée au pouvoir par l'armée israélienne, cette armée se retire. Mais cela implique que la droite libanaise accepte de créer un Liban dominé par les chrétiens et qui serait, vis-à-vis de son propre peuple et des États voisins, exactement dans la même position qu'Israël aujourd'hui. C'est d'ailleurs le calcul ouvert des dirigeants israéliens que de faire du Liban un second Israël, allié privilégié de l'impérialisme et instrument de guerre contre les peuples du Moyen-Orient. Un tel Liban verra peut-être le jour, mais il sera alors étroitement dépendant d'Israël. Et de toute façon, cette situation implique elle aussi la montée de la tension et du climat de guerre au Moyen-Orient.

Ainsi dans tous les cas, l'agression militaire au Liban a écarté, sans doute pour toute une période, toute possibilité d'une normalisation des relations entre le peuple israélien et les autres peuples de la région, telle qu'elle aurait pu résulter, par exemple, de l'établissement d'une paix de compromis. La seule paix que peut espérer maintenant le peuple israélien avec les peuples arabes sera celle qu'il obtiendra si l'armée d'Israël envahit après le Sud-Liban, Beyrouth ; après Beyrouth, le Nord-Liban : après le Liban, la Syrie ou la Jordanie ou les deux. Sharon a ouvert la porte à une guerre sans fin entre Israël et les peuples qui l'environnent, une guerre dans laquelle le peuple israélien est sans autre choix que celui de vaincre ou de mourir. Et encore vaincre dans ce domaine, ne veut-il rien dire. Gagner une guerre ne permet que d'en préparer une autre et de se rapprocher un peu plus du désastre final.

Dans le contexte de l'aggravation de la crise mondiale

La bourgeoisie israélienne a fait ce choix. Et elle sait qu'il implique sans doute, à plus ou moins court terme, l'instauration d'une dictature militaire ou même fasciste, sous la direction de Sharon ou d'un autre, afin de discipliner le peuple israélien à l'effort de guerre, de lui faire accepter les privations, le surtravail, les souffrances que celui-ci impliquera, afin de lui faire accepter l'inflation et la crise. Afin de lui faire accepter d'être, pour toute une période peut-être, un peuple de soldats qui se vengera sur les plus pauvres, les plus misérables que lui, les Arabes palestiniens ou libanais qui travailleront dans les usines ou dans les champs de ce que Begin nomme le « Grand Israël » tandis que les soldats israéliens monteront la garde l'arme au poing. La guerre au Liban implique ainsi d'abord le choix, par les dirigeants israéliens, d'une véritable guerre à leur propre peuple.

Ce choix peut apparaître comme démentiel mais il s'appuie aussi sur toute la situation politique internationale.

Car ce qui permet le choix fait aujourd'hui par les dirigeants israéliens, c'est d'abord la situation mondiale, la situation de crise économique générale et de tension internationale accrue que nous connaissons actuellement. Les dirigeants israéliens se préparent depuis longtemps à leur offensive. Mais ils ont su aussi attendre le moment favorable, le moment où la scène mondiale était dominée par le conflit des Malouines, où une grande puissance comme la Grande-Bretagne s'est montrée prête elle aussi, à envoyer toute la force de son armée et de sa flotte pour continuer d'imposer sa présence à 8000 kilomètres de ses côtes. Ils savaient aussi que leur offensive pourrait, certes, encourir quelques remontrances de la part des dirigeants américains mais que ceux-ci ne s'y opposeraient pas sérieusement.

Israël est depuis longtemps, par le choix de ses dirigeants, le principal allié, la principale force dont dispose au Moyen-Orient l'impérialisme américain. C'est grâce à la menace permanente que fait peser son armée sur les autres États et les autres peuples de la région que l'impérialisme américain peut globalement maintenir ses intérêts et sa présence au Moyen-Orient. Et l'impérialisme américain ne s'y trompe pas, qui fait pleuvoir depuis des années une manne de dollars sur l'État d'Israël. Cela lui coûte cher, certes. Mais comme la situation serait plus difficile pour eux au Moyen-Orient si c'étaient leur propre armée, leurs propres avions que les USA étaient forcés d'y expédier, si c'étaient leurs propres soldats qu'ils devaient envoyer à la mort. Alors qu'avec Israël ce sont des soldats d'un autre pays qui se battent et qui meurent, en croyant mourir pour eux-mêmes et pour la défense du peuple juif !

Cette situation a bien sûr aussi des inconvénients. Israël n'est pas simplement et directement aux ordres de l'impérialisme américain. Ses dirigeants prennent aussi des initiatives allant au-delà de ce que souhaiteraient les dirigeants impérialistes, un peu comme la police ou l'armée d'un pays prennent parfois des initiatives allant au-delà de ce que souhaitent les couches dirigeantes elles-mêmes. Mais les dirigeants israéliens savent depuis longtemps, justement, qu'ils peuvent aller assez loin sans trop de risques d'être rappelés à l'ordre par leurs maîtres impérialistes. La guerre du Liban fait partie de ce type d'initiative. Elle n'a sans doute pas été décidée, ni commandée par les USA. Mais elle a au moins leur accord tacite. Et en tout cas,, même si elle a des côtés gênants pour les intérêts des USA, les dirigeants israéliens savaient qu'ils risquaient au maximum un désaveu gêné.

Bien sûr, les dirigeant américains ont dans la région d'autre alliés, notamment parmi les États arabes, l'Arabie saoudite ou l'Égypte. L'offensive israélienne au Liban rend plus difficiles les relations avec ces États, qui sont eux-mêmes soumis à la pression de l'opinion publique arabe, révoltée par l'agression israélienne. Les dirigeants des USA essaient de leur donner de petites satisfactions en désapprouvant publiquement l'action israélienne, en faisant semblant de freiner Israël. Mais ils ne font et ne feront rien de décisif contre celui-ci. L'action israélienne va dans le sens du maintien des intérêts impérialistes. La menace israélienne accrue rendra peut-être encore plus dociles les dirigeants de l'Arabie saoudite et l'Égypte. Et puis surtout, si les dirigeants impérialistes ont à choisir entre leurs alliés, Israël d'une part, l'Arabie saoudite et l'Égypte d'autre part, eh bien ils choisiront toujours Israël. Car le régime et aussi la population israélienne sont aujourd'hui dans une position telle qu'ils sont enchaînés à l'alliance impérialiste.

L'attitude pro-impérialiste des régimes d'Arabie saoudite ou d'Égypte ne recueille pas auprès de leur population le même consensus que le régime israélien auprès de la sienne. Ce sont des dictatures instables, et les dirigeants impérialistes savent -en particulier après l'exemple de l'Iran - que, au Moyen-Orient, les dictatures les plus liées à l'impérialisme et en apparence les plus solides peuvent être très rapidement renversées pour laisser la place à des régimes moins favorables, voire même à des régimes combattant l'emprise de l'impérialisme sur leur pays.

Voilà pourquoi, face aux initiatives israéliennes, les dirigeants de l'impérialisme américain sont parfois embarrassés, parfois hésitants, mais finalement, laissent faire Israël, alors qu'ils auraient, s'ils le voulaient, tous les moyens de le rappeler à l'ordre ne serait-ce qu'en lui coupant les vivres ou en interrompant les livraisons d'armes. Voilà pourquoi aussi les autres dirigeants impérialistes, notamment celui de l'impérialisme français, Mitterrand, se gardent bien de faire quoi que ce soit contre l'action guerrière d'Israël exception faite de quelques regrets ou condamnations hypocrites. Ils sont bien trop respectueux des choix de l'impérialisme américain, bien trop à plat ventre devant lui, pour faire quelque chose qui puisse apparaître en contradiction avec lui.

Les affirmations d'un Sharon, qui voit Israël jouer un rôle militaire non seulement dans tout le Proche-Orient, mais aussi en Turquie, en Afrique du Nord ou en Afrique centrale, peuvent apparaître comme les rêves insensés d'un militaire qui rêve de conquêtes. Mais elles sont au fond un pari sur l'avenir, un pari sur une situation dans laquelle, effectivement, il serait souhaitable pour l'impérialisme de faire jouer à Israël un tel rôle. C'est un pari sur l'aggravation à venir de la situation mondiale, dans laquelle le peuple-soldat d'Israël jouerait pleinement son rôle d'allié de l'impérialisme. En prenant l'initiative de la guerre et de l'occupation du Liban, la bourgeoisie israélienne a contribué à l'aggravation de la tension mondiale et a peut-être rapproché une telle échéance.

Ce choix, bien sûr, est en partie le résultat de la politique sioniste. Mais la politique sioniste ne le rendait pas obligatoire ; elle n'a fait que créer une situation, dont il existait bien des voies pour sortir. Si la bourgeoisie israélienne a pu faire un choix comme celui de la guerre au Liban, c'est au moins autant le résultat de la crise économique mondiale qu'elle ressent, autant et bien plus même que les autres - bourgeoisies. C'est à cause aussi de la tension internationale accrue qui est elle aussi le résultat de la crise.

L'annonce d'un avenir dramatique ?

Voilà pourquoi, bien sûr, on pourrait dire aujourd'hui que la guerre du Liban, malgré toute sa cruauté, n'est après tout qu'une guerre de plus dans ce Moyen-Orient qui en a déjà connu quatre. On peut se dire qu'elle est due aux conditions locales, à l'existence de cet État sioniste qu'est Israël, à la tension permanente dont il est la cause dans la région. Tout cela est vrai ; il y a d'abord, dans la cinquième guerre du Moyen-Orient, la suite logique de la quatrième et des précédentes, qui étaient elles-mêmes la suite logique de l'implantation sioniste en Palestine. On peut se dire alors que, bien sûr, la solidarité si possible active des prolétaires européens doit aller au peuple palestinien, au peuple libanais, et aussi au peuple israélien contre le régime odieux de Begin et de Sharon, mais qu'au fond les prolétaires européens ne sont pas directement impliqués dans ce nouveau conflit du Moyen-Orient.

Mais justement, cela n'est pas sûr. La cinquième guerre israélo-arabe est à la fois la suite de la précédente, et en même temps bien plus que cela. Elle implique un choix irréversible de la bourgeoisie israélienne, un choix qui se révélera peut-être, plus tard, comme le début d'un enchaînement catastrophique.

Lorsque, avant la Seconde Guerre Mondiale, le Japon a envahi la Mandchourie en 1931 ou lorsque l'Italie fasciste en 1935 a déclenché une expédition coloniale en Éthiopie, ces conflits semblaient des conflits limités. Et pourtant, les choix politiques faits alors par la bourgeoisie japonaise et la bourgeoisie italienne se plaçaient dans le contexte de la crise économique que connaissait alors le monde entier et qui finalement a conduit à la guerre mondiale.

En ce sens, la guerre du Liban annonce peut-être un dramatique avenir pour tous les peuples de la région. Mais elle annonce peut-être encore pire : la guerre à l'échelle planétaire. Et elle signifie en tout cas qu'il est plus urgent que jamais de préparer dans tous les pays et d'abord dans le nôtre, la révolution socialiste. Il est peut-être malheureusement déjà très tard pour que la classe ouvrière israélienne puisse s'opposer aux entreprises de guerre de ses dirigeants, bien que certaines réactions, comme les manifestations contre l'agression au Liban, montrent qu'en Israël même un mouvement d'opposition conséquent à la politique de Begin et Sharon n'est pas complètement exclu. Mais en tout cas, il n'est pas trop tard pour la classe ouvrière des pays européens, de France, ou des États-Unis. Il n'est pas trop tard pour qu'elles luttent, pour qu'elles se préparent à se battre et à vaincre leur propre bourgeoisie, pour l'empêcher de leur imposer des choix analogues à ceux qu'impose la bourgeoisie d'Israël à sa classe ouvrière et à son peuple. Il n'y a en tout cas pas d'autre voie que la voie révolutionnaire pour stopper de-main la marche à la guerre dans laquelle le monde entier vient de faire un pas.

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